Traduction de l’italien par Charlotte Leclerc
14 / 02 / 2013
Les mouvements slow ont la cote en Italie. Sur le même principe que
“Slow Food”, “Slow City”... , “Slow School” est un réseau de parents et
enseignants qui demandent une école plus lente pour leurs fils et leurs
filles, une éducation pédagogique “slow”, non violente, qui respecte les
rythmes et les droits des enfants. Il n’est bien sûr pas question pour
les tenants de l’éducation lente de ralentir les enfants, mais bien de
trouver les rythmes adaptés à chacun. Réflexions d’une institutrice
italienne de la Spezia sur le sujet.
« Les choses de tous les jours racontent leurs secrets à
celui qui sait regarder et écouter... » jusqu’à lui révéler que « pour
faire une table, il faut une fleur ». Et, à vrai dire, on finit par
découvrir que « pour tout faire, il faut une fleur » .
On doit ces paroles à Gianni Rodari, la musique et la voix à Sergio
Endrigo. Depuis un certain temps, je propose à un moment ou à un autre
de l’année scolaire cette chanson aux enfants, ainsi que son texte
illustré. Je me force ensuite à attendre leurs observations, leurs
hypothèses, leurs questions. Et elles arrivent. Toujours. Il suffit de
savoir attendre. Savoir attendre devrait justement être l’une de mes
compétences professionnelles fondamentales. Je dis que ça « devrait »,
parce qu’en réalité, même à l’école primaire, on nous demande toujours
de courir, d’aller vite. Non pas parce que courir, sauter, toucher,
sentir, regarder... sont des passages obligatoires de la croissance et
qu’il faut les vivre intensément ; mais simplement parce, derrière,
qu’il y a toujours un adulte pressé. On n’a malheureusement pas le temps
d’attendre qu’une fleur devienne une table. Pas de chance si ce sont
les parents qui sont pressés, prisonniers d’un rythme de vie qui n’a pas
grand chose à voir avec celui des enfants (le rythme du travail
quotidien, le travail au noir, les difficultés des familles
émigrées...). Pas de chance si ce sont les instituteurs qui ont peur
d’avoir mal organisé leur journée quand ils ne peuvent pas témoigner du
travail effectué par une production concrète.
Professionnellement, je suis institutrice d’école primaire et
j’appartiens à la typologie des enseignants qui cherchent à s’occuper
principalement des parcours et des modèles que les enfants explorent,
suivent, entrelacent, défont et reconstruisent au quotidien, pour
construire leur pensée. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est le chemin,
plus que le résultat. Ce qui m’intéresse, ce sont les « projets » que
l’on construit avec les enfants, en empruntant des routes généralement
non-prédéfinies. Ce qui m’intéresse surtout, c’est de chercher à
stimuler l’apprentissage, de sorte que les enfants puissent devenir des
adultes qui aient « une tête bien faite plutôt que bien pleine » ; ou
encore, pour remettre au goût du jour l’inexorable Maria Montessori,
qu’ils puissent être en mesure de dire « aide-moi à faire tout seul ».
Ce qui m’intéresse, c’est de dessiner des cartes et apprendre à les lire
avec les enfants, plutôt que de les habituer à se servir d’un GPS.
Il y a quelques années déjà, à l’occasion de l’anniversaire de la déclaration des droits de l’enfance et de l’adolescence, j’ai discuté sur ce thème avec un groupe d’élèves de 4 et 5 ans et l’un d’eux a dit : « Les enfants peuvent regarder le ciel et les étoiles et voler, regarder les papillons et nager dans l’eau légère ».
Il y a quelques années déjà, à l’occasion de l’anniversaire de la déclaration des droits de l’enfance et de l’adolescence, j’ai discuté sur ce thème avec un groupe d’élèves de 4 et 5 ans et l’un d’eux a dit : « Les enfants peuvent regarder le ciel et les étoiles et voler, regarder les papillons et nager dans l’eau légère ».
Il faut du temps pour faire ça ; il faut du temps pour écouter les
enfants, pour leur permettre de vivre à leur propre rythme et leur
enseigner que cela aussi fait partie de leurs droits. Il faut savoir
avancer lentement. Être un peu comme les tortues ou les escargots : des
petits animaux stratégiques. Ceux-là ont une maison sur le dos et savent
se protéger ; ils ont une longue durée de vie, savent creuser et se
déplacer sous terre, mais aussi nager ; ils nous viennent d’un passé
lointain et marchent vers le futur. Quant à nous, êtres humains, qui
avons mis tant de temps à apparaître sur terre et qui avons besoin de
neuf bons mois (280 jours) pour préparer notre naissance, où donc
devrions-nous courir ? Où doivent courir les enfants, si ce n’est vers
la découverte du temps et de l’espace et des relations qui les lient, ou
encore des relations qui lient les êtres humains à cet espace-temps sur
la Terre ?
Ils doivent aussi se préparer à être uniques, comme la célèbre rose qui « choisissait avec soin ses couleurs, s’habillait lentement, ajustait un à un ses pétales. » [1]
Ils doivent aussi se préparer à être uniques, comme la célèbre rose qui « choisissait avec soin ses couleurs, s’habillait lentement, ajustait un à un ses pétales. » [1]
Gianfranco Zavalloni est le pédagogue qui a défini – ou peut-être
serait-il plus juste de dire le pédagogue qui a eu la cohérence de
rappeler – les droits indiscutables des enfants.
Des droits naturels,
qu’il a ainsi énoncés :
1. DROIT À L’OISIVETÉ
droit de vivre des moments de temps non programmé par les adultes;
2. DROIT DE SE SALIR
droit de jouer avec le sable, la terre, l’herbe, les feuilles, l’eau, les cailloux, les branchages;
3. DROIT AUX ODEURS
droit de percevoir le goût des odeurs, reconnaître les parfums qu’offre la nature;
4. DROIT AU DIALOGUE
droit d’être écouté et de prendre la parole, intervenir et discuter;
5. DROIT À L’USAGE DES MAINS
droit de planter des clous, scier et poncer du bois, polir, coller, modeler de la pâte d’argile, nouer des cordes, allumer un feu;
6. DROIT DE PARTIR DU BON PIED
droit de manger une nourriture saine dès la naissance, de boire de l’eau claire et respirer de l’air pur;
7. DROIT À LA RUE
droit de jouer librement sur les places, de marcher dans la rue;
8. DROIT À LA VIE SAUVAGE
droit de construire un refuge dans les bois, d’avoir des roseaux où se cacher et des arbres sur lesquels grimper;
9. DROIT AU SILENCE
droit d’écouter le souffle du vent, le chant des oiseaux, le gargouillis de l’eau;
10. DROIT AUX NUANCES DE COULEURS
droit d’assister au lever et au coucher du soleil, d’admirer, la nuit, la lune et les étoiles.
Pour pouvoir faire ça, au moins à l’école, il faut des
adultes/professeurs qui sachent rappeler à quel point les êtres humains
sont proches de la terre et semblables aux arbres, avec des racines
enfoncées dans le sol mais la cime qui regarde le ciel. « Un arbre
écoute les comètes, les planètes, les constellations, les essaims. Il
ressent les tempêtes du soleil et veille avec autant d’attention sur les
cigales qui sont sur lui. Un arbre est une alliance entre le proche et
l’infiniment loin ».
[2]
C’est toujours la même histoire, il faut des arbres et des fleurs.
Il faut une école qui sache vraiment aller lentement, une « slow school »
[3],
comme la définit Penny Ritscher qui applique la pédagogie de l’escargot
[4].
Une école habitée par des adultes/professeurs qui n’aient pas peur
d’être « plus lents, plus doux, plus profonds » (Alexander Langer).
Alors, peut-être, pourrait-on procéder comme des randonneurs de montagne
: chacun à son rythme, respectant son propre pas et celui des autres.
J’aimerais ajouter : de manière responsable. Avec la responsabilité d’un
professionnel qui « joue » pendant les premières années de vie des
enfants dans le but de favoriser autant que possible la structuration
d’adultes capables de construire des savoirs et d’agir avec
responsabilité et sens critique.
Un adulte/professeur doit être un « homo faber » permanent, utilisant et développant des capacités de collaboration
[5],
mais aussi un « homo agricola » exerçant et transmettant sa capacité de
savoir attendre. En ce sens, cultiver un potager ou s’occuper d’un
jardin pourrait être l’une des propositions pédagogiques et didactiques
les plus intéressantes et efficaces que l’école puisse adopter. Et pas
seulement pour le respect des droits naturels cités plus haut : pour la
possibilité de travailler sur les émotions et les relations, non pas de
manière théorique en distribuant des étiquettes verbales, mais en se
mesurant concrètement au travail et au vivre-ensemble. Il faut du temps
pour travailler la terre, pour la semence, pour la maturation, pour la
récolte. Il faut de la responsabilité pour ne pas oublier d’arroser. Il
faut du temps pour apprendre à choisir les aliments et être capable d’en
garantir à tout le monde (si les adultes responsables ont des têtes
bien faites). Il faut du temps pour apprendre à faire tout ça ensemble.
« Nous, enfants, devons prendre soin du jardin et des sentiments »,
rapporte Tiziana Sandro, soutenant que le jardin est « la métaphore
d’une longue récolte qui renvoie à l’expérience symbolique où délimiter,
dessiner des micro-paysages, remuer le terreau, semer, irriguer,
deviennent des gestes rituels destinés à appréhender le mystère du cycle
de la vie »
[6].
Encore une fois, il faut des instituteurs qui assument la responsabilité d’organiser leur travail, qui choisissent s’ils veulent mettre en place des ambiances, du matériel, des propositions pour certifier des connaissances ou pour explorer des savoirs. Il serait donc primordial de donner « une valeur didactique au silence épistémologique […].
Une
expérience quelle qu’elle soit requiert un certain espace pour pouvoir
être appréciée à sa juste valeur et prendre du sens […]. Et c’est pour
cela qu’il est nécessaire de suspendre l’engrenage de l’action […] et de
se réapproprier une dimension toujours plus refoulée et méprisée :
celle de l’attente »
[7]
Une dimension qui s’approprie le silence « comme une attitude d’écoute,
autrement dit d’accueil de la pensée d’autrui […], comme un espace «
démocratique » exempté de tout préjugé […]. Un silence chargé du
souvenir des expériences faites, où les esprits […] peuvent exprimer et
reconnaître leurs relations avec le monde […]. Ce silence […] est le
socle sur lequel la parole peut prendre la forme et le corps d’un
dialogue. Le dialogue […] est un lieu d’élaboration de connaissances, où
se bâtissent les théories […]. Une connaissance complexe, dont la
structure est faite de relations plus que d’objets ou de concepts,
trouve dans une situation d’interrelations vives un terrain fertile pour
être représentée et verbalisée, l’humus naturel pour croître et donner
des fleurs et des fruits »
[8].
« Plus lent, plus doux, plus profond ».
« Plus lent, plus doux, plus profond ».
Simonetta Musetti
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